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Je marchais en silence, le vent salé dans les narines, les yeux à l’affût. Puis je l’ai vue.
Une scène simple, presque banale : une mouette posée sur une croix. Mais pas n’importe quelle croix. Celle-là portait le poids de toute une histoire, celle de la France libre. Celle du refus de plier. Celle du général de Gaulle.
La photo s’est imposée à moi.
Je n’ai pas eu à chercher l’angle. Il était là, tout droit, dressé vers le ciel.
Dès que je l’ai reconnue, j’ai senti quelque chose de grave, d’héroïque.
Cette croix à double traverse n’est pas un ornement religieux. C’est un symbole de résistance. De désobéissance aussi.
C’est en juin 1940 que le général de Gaulle, depuis Londres, cherche un symbole fort pour incarner la lutte contre le nazisme. Il refuse de laisser la croix gammée triompher en silence. Il lui faut un contrepoids. Un signe.
C’est l’amiral Émile Muselier, chef des Forces navales françaises libres, qui propose cette croix issue des armoiries des ducs de Lorraine. Un vieux symbole lorrain — donc français — mais aussi chrétien, familier, accessible.
Elle devient l’insigne de la France libre. Elle est peinte sur les navires, brodée sur les uniformes, hissée sur les plages de la Libération. Partout, elle rappelle que la France ne s’est pas rendue. Qu’elle se bat encore, ailleurs.
Je ne m’attendais pas à la voir ici, à Biarritz, dans ce coin de littoral sauvage entre falaises et pins tordus.
Mais c’est bien ici, sur ce promontoire face à l’océan, que la Croix de Lorraine veille.
Elle semble plantée dans la roche comme un rappel permanent : n’oubliez jamais.
Ce monument a été inauguré pour rendre hommage à la Résistance locale, à tous ceux qui, dans l’ombre, ont écouté Londres en secret, ont passé des messages, ont guidé des aviateurs ou protégé des maquisards.
Biarritz, ville de bord de mer, n’était pas qu’une carte postale pendant la guerre. Elle fut aussi un terrain de courage discret, de bravoure quotidienne.
Et puis il y a cette mouette.
Posée là comme une coïncidence.
Comme une provocation peut-être.
Ou comme une évidence.
Elle transforme la croix en perchoir. Elle banalise le sacré, et c’est tant mieux.
Car la liberté, ce n’est pas qu’une grande statue ou un discours enflammé. C’est aussi le droit de se poser où l’on veut, le souffle libre, le regard vaste.
Cette mouette, c’est nous.
Ceux qui ont gagné le droit de voler sans crainte.
Grâce à ceux qui, hier, ont refusé de plier.
Autour de la scène, les arbres. Tordus, squelettiques, presqu’inquiets.
Ils ressemblent à des bras levés, à des silhouettes de résistants figés par le vent.
Ils ne bougent plus, mais ils veillent eux aussi.
Ils encadrent la croix comme un chœur silencieux.
Leur nudité ajoute à l’atmosphère de cette photo un sentiment d’austérité poétique, comme une scène de théâtre figée à jamais.
Ils sont le passé. La croix est la mémoire.
La mouette, l’avenir.
Il y a quelque chose de puissamment ironique dans cette image.
Un monument de pierre, austère, commémoratif. Et dessus, un oiseau libre, léger, sans passé.
C’est un choc de symboles.
Mais c’est aussi une harmonie.
Parce que ce monument, il a été érigé pour que la mouette puisse encore voler, pour que le ciel soit encore un espace de liberté.
Pour que les enfants puissent jouer au bord de l’eau, les poètes écrire, les photographes s’émerveiller.
Pour que nous puissions continuer à raconter notre histoire sans trembler.
Je reviendrai.
Je sais que ce lieu, au-delà de sa force visuelle, est un morceau d’histoire planté dans le présent.
Il ne s’agit pas de pleurer le passé, mais de s’en souvenir.
De faire de chaque promenade un acte de reconnaissance.
Et de voir, dans chaque mouette posée, un peu de cette liberté gagnée de haute lutte.
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